Tiens regarde, lui dit-il, ça c'est un hommage de Miro à Picasso. Tu vois ? Tu vois l'hommage ? Tu vois Picasso ?
Elle plisse les yeux, recule, joue la myopie, le regarde lui puis à nouveau la toile, avant d'affirmer : c'est quand même bien du Miro.
Il soupire. Bien entendu, c'est dit dans un souffle. Elle sourit. Le regarde. Il se sent soudain troublé par ce regard.
Oui, dit-elle enfin en ne cessant de le regarder lui. Je vois bien Picasso.
Un soleil rouge entre eux soudain. Ou devant plutôt. C'est la toile suivante.
Un soleil rouge, dit-il.
Un soleil rouge, répond-elle, avant de se flouter. Il s'agit d'un souvenir. Les souvenirs toujours la rendent floue, surtout lorsqu'ils surgissent de façon aussi inopinée. Il faut dire que le soleil rouge ne pouvait que faire remonter le souvenir d'un plaisir, peut-être même d'un bonheur. C'était avec lui. Mais autant ne rien en dire. Mieux vaut se flouter. Attends, pense-t-elle, je dois me retirer un peu, porter un voile de passé, ça ne durera que quelques secondes.
D'accord, ne l'entend-elle pas penser en retour.
Oh, dit-il enfin, lorsqu'il la sent remonter. Et fixe les cheveux d'une étoile.
Quoi ?
C'est le titre de la toile.
Ah. En plein jour, c'est drôle.
Les étoiles existent tout de même.
C'est vrai.
Ainsi que leurs cheveux.
Elle ne répond rien, dubitative. Leurs cheveux ? Il doit penser aux filantes, celles qui laissent des traînées, des fils, des éclairs. Elle lisse machinalement les siens. Il passe une main dans les siens. Et dans ces deux phrases vous voyez c'est comme pour les étoiles : on ne sait plus bien de quels cheveux il s'agit.
Ils se sourient, poursuivent leur visite, un peu de jaune et de vert à leurs trousses.
Le bleu les enveloppe, le rouge les remplit.
C'était bien, dit-il.
Oui c'était bien, dit-elle.
Ils se font la bise.
A une autre fois, disent-ils.
Rien de plus.
Pourquoi plus ?
Les toiles acquiescent doucement,
les regardent s'éloigner.
Soudain tout est silencieux.
(photographies de Donata Wenders)