Henri est amoureux de Martine.
Cela se passe à Paris en 1985.
Ils sont tous les deux morts aujourd'hui. Elle, c'était il y a trois mois. J'étais en Chine.
Au moment où a été prise cette photographie, j'avais onze ans, presque douze, l'âge de ma fille aujourd'hui.
Je n'avais pas conscience que des gens s'aimaient l'année de mes onze ans, je ne savais pas que des photographes s'entre-photographiaient, je ne savais pas que l'on pouvait saisir avec une telle force la faiblesse de celle ou celui qu'on aime. Je ne savais rien des forces et des faiblesses.
Je savais déjà cependant que l'on mourait, à la fin, après avoir vécu tout ce que j'ignorais.
Il l'aime et la photographie.
On ne sait pas à quoi elle pense, mais on sait qu'elle est aimée.
On ne sait pas ce qui la rend triste ou songeuse, mais on sait qu'elle vit.
Et on sait qu'il la trouve belle. Il sait ce qu'elle a vécu. Elle lui a raconté son enfance. A ce qui se passait pour elle quand elle ne savait pas que des adultes faisaient l'amour au même moment. Ou se photographiaient, ce qui peut être exactement pareil.
J'avais onze ans, presque douze, et je pourrais retrouver dans mon journal ce que j'écrivais cette année-là.
Je pourrais.
1985. 6 mars.
"Ce matin, j'ai pris mon vélo et et j'ai été à l'endroit où j'avais trouvé le pauvre oiseau mort. Heureusement, il y était encore. Je l'ai mis dans un sac plastique et j'ai mis bien longtemps à trouver un endroit convenable. J'ai finalement enterré l'oiseau dans un petit bois, hélas, qui est bien sale. J'ai creusé un petit trou à l'aide d'un bâton. C'était facile car la terre était humide. J'y ai déposé l'oiseau. Je l'ai recouvert de terre. J'ai trouvé une planche qui s'est transformée en pierre tombale, j'ai mis des pierres pour que la planche tienne. Ensuite, j'ai mis deux branches en forme de croix sur la tombe. Pendant que je faisais ce travail, un chat noir est venu me rendre visite. Au début, je le trouvais ennuyant car il déplaçait les branches. Mais peu à peu, je lui ai trouvé l'air sympathique et je l'ai appelé Lucifer. Ce n'était pas le mot à prononcer devant une tombe, je suis donc partie. Il m'a suivie. J'étais bien heureuse, car beaucoup de chiens m'ont déjà suivie, mais jamais un chat ! Et puis, il était tout à côté de mes pieds ! Puis, c'est moi qui l'ai encouragé à me suivre, je l'appelais et il venait. J'ai pensé qu'il avait faim, j'ai voulu le ramener à la maison. Mais j'ai deviné que ça ne plairait pas à maman. Alors je lui ai donné rendez-vous à un endroit précis demain matin car je commencerai à 10h00. Je lui apporterai du lait. Il a eu l'air de comprendre car il est parti. Quand je lui aurai donné son lait, je sens que je serai contente car ça fait du bien de faire une bonne action. J'espère seulement qu'il sera au rendez-vous."